L’exécution en nature : pourquoi payer quand on peut réparer soi-même ?

INTRODUCTION

 

Il n’est pas rare de voir un litige naître entre un entrepreneur et un maitre d’ouvrage, ce dernier exigeant ensuite la prise en charge des frais de démolition/réparation de l’ouvrage réalisé.

 

Cette situation peut engendrer des conséquences gravissimes pour l’entrepreneur si les frais réclamés sont supérieurs (des fois très largement) au prix obtenu pour l’ouvrage initial.

Nous n’évoquerons pas la faculté de remplacement, ses modalités et les sanctions en cas de non-respect de celles-ci : nous gardons cela pour une prochaine contribution.

 

 

RAPPEL DES PRINCIPES

 

En commettant des malfaçons, l’entrepreneur commet une faute contractuelle.

 

Celle-ci est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle si on peut la mettre en lien causal avec un dommage.

 

C’est ce dernier point qui mérite notre attention.

 

  1. Le dommage

 

Le dommage doit être certain, né et actuel :

 

« En exigeant que le dommage soit certain, on entend qu’il ne doit pas être simplement hypothétique ou éventuel.

 

… 

 

Selon la doctrine, le dommage est certain lorsqu’il est à ce point vraisemblable que le Juge aura la conviction qu’en l’absence du fait dommageable, la victime se serait trouvée dans une situation meilleure. En cas de doute sur l’existence du dommage, le Juge ne peut ordonner la réparation.

 

La certitude du dommage oscille entre le droit matériel et le droit de la preuve.

 

En effet, si le dommage est déclaré incertain, le Juge considère inévitablement que la preuve du dommage n’a pas été faite par la victime. Inversement, la certitude du dommage implique que ce dommage existe parce qu’il a été établi.

 

Il n’est pas étonnant que les juristes consacrent une attention toute particulière à la certitude du dommage, c’est-à-dire aux conditions qui doivent être réunies pour pouvoir conclure à la preuve de l’existence d’un dommage.

 

La question de la certitude (c’est-à-dire de la preuve du dommage) se pose, en effet, à trois niveaux :

 

1) Il faut tout d’abord déterminer la situation dans laquelle se trouve la victime après le fait dommageable (le fait générateur de responsabilité).

 

 

2) Il convient ensuite de déterminer dans quelle situation se serait trouvée la victime en l’absence du fait dommageable.

 

 

3) Finalement, il convient de comparer les deux situations précitées et de déterminer si elles se distinguent négativement l’une de l’autre et, si distinction il y a, qu’elle en est l’importance.

 

… » (Responsabilités, Traité Théorique et Pratique, éditions Kluwer, titre I dossier 10, pages 4 et s.)

 

 

La doctrine se prononce par ailleurs quant au moment de l’appréciation de ce dommage :

 

« Le dommage doit être certain, c’est-à-dire exister au moment où le Juge se prononce à son sujet.

 

La certitude du dommage implique que, dans l’appréciation du dommage, le Juge se place au jour de sa décision, prenant en considération toutes les circonstances d’espèce, intervenues depuis l’accident et susceptibles d’avoir une incidence sur l’existence et l’importance du dommage.

 

Cette règle est une conséquence assez logique du principe qui impose la réparation intégrale du dommage.

 

Selon la Cour de Cassation, le Juge doit, se plaçant au moment où il statue, ainsi tenir compte de toutes les circonstances de la cause susceptibles d’influer sur l’existence et l’étendue du dommage de la victime, pour autant que ces circonstances présentent un lien avec le fait générateur du dommage ou avec le dommage lui-même. ». (opcit.)

 

Cela signifie, en corolaire, que le caractère hypothétique d’un dommage ne peut être indemnisé. Un maitre d’ouvrage qui se plaindrait de « risquer de voir l’ouvrage dégradé » ne serait donc en théorie pas fondé à être indemnisé.

 

  1. La réparation en nature

 

L’entrepreneur doit en être convaincu : les travaux de réfection lui couteront toujours moins cher s’il les réalise lui-même que s’il doit prendre en charge les frais d’un tiers.

 

Or, la réparation en nature est le mode normal de réparation de la violation d’une obligation :

 

« L’exécution en nature constitue le mode normal d’exécution forcée des obligations de faire.

 

L’exécution par équivalent s’impose lorsque l’exécution en nature n’est pas ou n’est plus possible.

 

Dans le cas d’espèce, la réparation en nature n’est plus possible du fait des maître de l’ouvrage qui s’y sont opposés pour des motifs non légitimes alors que l’expert offrait la garantie du contrôle sérieux des travaux. Dès lors la réparation tiendra compte des montants retenus par l’expert au cas où l’entrepreneur aurait pu intervenir personnellement » (Liège, 17 mars 2005, RRD 2005, p. 137)

 

  1. Comment se protéger ?

 

Il est impératif de préparer son dossier de manière telle que, si d’aventure le litige était porté en justice, l’argument puisse être invoqué.

 

Si le maître d’ouvrage venait à refuser l’intervention en nature, il convient de s’assurer la preuve de ce que cela lui a été proposé mais refusé.

 

Ce faisant, la condamnation éventuelle sera limitée au coût des travaux de réfection si l’entrepreneur avait fait lui-même les travaux.

 

En outre, cela pourrait permettre de compenser les « frais de justice », ce qui n’est pas négligeable.

 

Veillez donc toujours bien à vous ménager un écrit !

Julien VERMEIREN