La clause de non-débauchage : qu’en penser ?

Il n’est pas rare de trouver dans des contrats de sous-traitance des clauses interdisant le débauchage d’un employé mis à disposition.

 

Pareille clause est-elle légale ? Peut-elle être absolue ? Tentative de réponse…

 

 

 

  1. Cas d’espèce

 

Imaginons la situation suivante : la société A fait appel aux services de la société C comme sous-traitant.

C dispose d’ouvriers compétent et souhaite protéger son personnel de qualité : il fait signer à A un contrat-cadre dans lequel figure une clause interdisant le débauchage de ses ouvriers sous peine d’une indemnité de 10.000€.

Après 18 mois de collaboration, A résilie le contrat et accueille quelques semaines plus tard un ouvrier de C qui a décidé de devenir indépendant.

C exige le paiement de l’indemnité de 10.000€ prévue au contrat.

Est-elle due ?

La présente contribution est un début de réflexion, pareil litige devant prochainement être tranché.

 

 

  1. Quant à la clause de « non-débauchage »

 

  • Absence de débauchage ?

a.

C réclame la condamnation de A au paiement d’une indemnité forfaitaire de 10.000 € en application de la clause de non-débauchage insérée dans le contrat cadre de sous-traitance.

C affirme de manière succincte que A a débauché un de ses employés.

La clause de non-débauchage est libellée comme suit :

« Pendant toute la durée de la collaboration entre parties et pendant une durée de 12 mois à l’expiration du présent contrat, [l’entrepreneur principal] s’abstiendra de traiter, directement ou indirectement, avec les travailleurs du sous-traitant, les collaborateurs de ce dernier ou les entreprises intervenues en sous-traitance de C dans le cadre des missions confiées.

En cas d’infraction, [l’entrepreneur principal] sera tenu de payer au sous-traitant général une indemnité forfaitaire équivalente à un montant de 10.000,00 €, sans préjudice du droit du sous-traitant d’exiger la réparation de son préjudice réellement subi. »

La clause interdit donc à A de « traiter directement ou indirectement » avec les employés de l’intimée.

La clause ainsi formulée laisse place à un doute quant à son interprétation puisque le terme « traiter avec» ne précise pas suffisamment quel type de relation entre la concluante et les travailleurs de l’intimée doit être concerné par l’interdiction.

b.

D’une part, il convient d’appliquer le principe général d’interprétation des conventions issu des articles 1156 et suivants du Code civil et plus particulièrement de l’article 1162 qui stipule que « Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l’obligation. »

c.

D’autre part, la doctrine s’accorde sur le fait que ce type de clause doit s’interpréter de manière stricte en ce qu’elle restreint indirectement la libre concurrence qui est un principe protégé par le décret d’Allarde consacrant la liberté de commerce et d’industrie[1].

d.

En l’espèce, il convient donc de l’interpréter en ce sens que l’interdiction de traiter avec les travailleurs de C se limite à une interdiction d’établir une démarche active vers le personnel du sous-traitant c’est-à-dire de proposer une collaboration à un travailleur.

De plus, d’après la définition du débauchage de personnel qui nous est fournie par la jurisprudence, cette notion implique bien une démarche active de l’employeur :

Le débauchage est « le fait pour un employeur d’inciter un travailleur à quitter l’emploi (ou les emplois) qu’il occupe, l’initiative du premier contact étant le fait soit de l’employeur, soit d’un tiers mandaté pour lui à cette fin pour attirer l’employé »[2] (le concluant souligne).

Par définition et interprétation, la clause en litige n’inclut donc pas l’interdiction d’accepter passivement une offre volontaire de collaboration de la part du travailleur.

Par ailleurs, ce type de clause de non-débauchage n’est pas opposable au travailleur qui est tiers à la convention de sous-traitance.

Cela implique que la clause n’empêche pas à un travailleur de s’engager volontairement au service du bénéficiaire de ses prestations[3].

e.

En l’espèce, l’ouvrier, après s’être installé en tant qu’entreprise individuelle[4] en juillet 2015 en Pologne, a proposé ses services à diverses sociétés dont A.

A et l’ex-ouvrier de l’intimée ne sont donc pas liés par un contrat de travail mais par une relation commerciale.

Selon les articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, il revient à celui qui réclame l’exécution de l’obligation contractuelle de prouver les faits qu’il l’allègue.

  • La validité de la clause

 

En plus d’être inopposable au travailleur, cette clause, pour être licite, ne peut restreindre inutilement la liberté d’entreprendre de ce dernier de manière indirecte, liberté qui présente un caractère d’ordre public et son application doit respecter le principe de proportionnalité sous peine de constituer un abus de droit dans le chef de celui qui se prévaut de la clause[5].

Sur la base du principe de proportionnalité, une clause de non-débauchage indirectement contraignante pour un travailleur est « admise pour un travailleur de très haut niveau qui justifierait de compétences particulièrement pointues on indispensables au bon fonctionnement de l’entreprise »[6].

Or en l’espèce, si on interprète la clause de non-débauchage comme interdisant au cocontractant tout contact avec les ouvriers du sous-traitant, cela revient à réduire indirectement la liberté de contracter de ces ouvriers, et ce de manière injustifiée.

En bref, la jurisprudence considère que la validité d’une clause de non-débauchage entre entreprises ne sera établie que si celle-ci est limitée dans le temps et dans l’espace, est relative à une activité circonscrite et prévoit une contrepartie financière au bénéfice du travailleur qui verrait sa liberté de travailler restreinte[7].

Or en empêchant un ex-ouvrier du bâtiment d’entreprendre une activité de manière indépendante et en limitant ses possibilités de collaboration pendant 1 an sans compensation, la clause en litige réduit bien sa liberté d’entreprendre de manière excessive et n’est par conséquent pas valable.

 

  • Subsidiairement, l’indemnité forfaitaire

Quant au montant de 10.000 € de la sanction forfaitaire, A pourrait en demander la réduction puisque cette somme réclamée dépasse manifestement la somme que C pouvait exiger en cas de réel débauchage d’un de ses ouvriers.

« La clause pénale fixant forfaitairement le montant de la réparation due en cas d’inexécution [de l’obligation de non-débauchage] sera soumise au régime de droit commun des clauses pénales »[8] et notamment à l’article 1231 du Code civil.

Le magistrat pourrait donc réduire le montant à celui du préjudice réellement subi.

  1. Conclusion

 

Rien n’est jamais simple, surtout en droit !

Ce n’est pas parce que vous avez conclu un contrat incluant une clause de non-débauchage que vous êtes pieds et poings liés.

N’hésitez pas à consulter un avocat si une difficulté se présentait en pareille situation.

Julien VERMEIREN, ancien associé

[1] VERSLYPE, J.Y., « Éviter le débauchage et la fuite du personnel : approche en droit du travail et en droit commercial », Bruxelles, D. Lefebvre, 2003, p. 90.

[2] C. trav. Liège, 19 novembre 2001, R.G. n° 29.582/2000, www.just.fgov.be.

[3] VERSLYPE, J.Y., « Éviter le débauchage et la fuite du personnel : approche en droit du travail et en droit commercial », Bruxelles, D. Lefebvre, 2003, p. 92.

[4] Pièce 9

[5] CLESSE, C.-E. et GILSON, S., « La clause de non-débauchage de personnel en droit du travail », La concurrence loyale et déloyale du travailleur, Limal, Anthemis, 2013, p. 228-229.

[6] Ibid., p. 229, commentaire d’un arrêt de la Cour du travail de Liège : C. trav. Liège, 18 juin 2007, J.T.T., 2008, p. 464.

[7] CLESSE, C.-E. et GILSON, S., « La clause de non-débauchage de personnel en droit du travail », La concurrence loyale et déloyale du travailleur, Limal, Anthemis, 2013, p. 230.

[8] VERSLYPE, J.Y., « Éviter le débauchage et la fuite du personnel : approche en droit du travail et en droit commercial », Bruxelles, D. Lefebvre, 2003, p. 92.