ASSURANCE DÉCENNALE OBLIGATOIRE POUR LES ENTREPRENEURS : LA LOI DU 31 MAI 2017

Introduction 

 

 

Le projet de loi relatif à l’assurance obligatoire de la responsabilité décennale pour les entrepreneurs, architectes et autres intervenants du secteur de la construction de travaux immobiliers et portant modification de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte, a été voté au Parlement le jeudi 11 mai 2017.

En application de l’article 22 de cette loi, les dispositions entreront en vigueur à dater du 1er juillet 2018 (hormis l’article 10, relatif au bureau de tarification, qui entrera pour sa part en vigueur le 1er décembre 2017).

 

 

Cette loi s’applique aux travaux immobiliers sur des habitations situées en Belgique et destinées au logement, pour lesquels l’intervention de l’architecte est obligatoire et pour lesquels le permis d’urbanisme définitif a été délivré après le 1er juillet 2018.

 

En cela, cette loi met fin à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile des architectes reprise dans la loi du 15 février 2006 (loi Laruelle).

 

Relevons que l’obligation déontologique pour les architectes d’assurer leur responsabilité civile professionnelle continue d’exister. Il en sera question dans la troisième partie de cette contribution.

 

 

La nouvelle obligation d’assurance concerne exclusivement la responsabilité décennale prévue aux articles 1792 et 2270 du Code Civil concernant les problèmes de stabilité et de solidité, ainsi que les problèmes d’étanchéité s’ils mettent en danger la stabilité et la solidité du bâtiment. La garantie de l’assurance devra être valable pour les 10 années qui suivent la réception des travaux. Il ne s’agit donc pas d’une police d’assurance résiliable annuellement, mais d’une police valable pour la totalité de la période de la responsabilité décennale.

 

 

L’Université de Liège a organisé, en date du 15 juin 2017, un colloque relatif à cette nouvelle loi.

 

La plupart des développements qui suivent en sont inspirés.

 

Que les orateurs (Madame Catherine PARIS, Monsieur Marc-Antoine LEMAIGRE et Monsieur Benoît KOHL) en soient vivement remerciés.

 

 

Nous rappellerons d’abord les principales caractéristiques de la responsabilité décennale (A), après quoi nous envisagerons les nouvelles obligations des entrepreneurs en application de cette loi (B). Nous terminerons en examinant les modifications que cette nouvelle loi impose pour les architectes (C).

 

 

  1. La responsabilité décennale

 

 

  1. La responsabilité de l’entrepreneur après l’agréation des travaux:

 

 

La réception agréation joue un rôle central. Avant celle-ci, le maître de l’ouvrage est en droit d’obtenir de l’entrepreneur une exécution conforme au contrat conclu, soit encore une exécution en nature.

 

Après cette réception agréation, la responsabilité de l’entrepreneur peut être engagée pour réparer les vices affectant le bien construit.

 

Ces vices qui surviennent après réception–agréation peuvent soit menacer la stabilité de l’immeuble, auquel cas le régime de la responsabilité décennale trouve à s’appliquer ; soit, pour les vices moins graves et qui étaient cachés au moment de la réception-agréation, entrainer le régime de la responsabilité de droit commun pour les vices cachés véniels.

 

La présente contribution visera la responsabilité décennale pour les vices menaçant la stabilité.

 

 

  1. Principe en matière de responsabilité décennale:

 

 

La responsabilité décennale des entrepreneurs trouve son fondement dans les articles 1792 et 2270 du Code Civil.

 

L’article 1792 est consigné dans les dispositions relatives au chapitre du Code Civil traitant des louages d’ouvrage et d’industrie : il s’agit d’une responsabilité contractuelle.

 

 

Cette responsabilité contractuelle est d’ordre public.

 

Cela signifie qu’il ne peut être dérogé par les parties au contrat d’entreprise, qu’elle ne peut être limitée ou exclue hormis des cas tout à fait spécifiques (délégation par les architectes de certaines tâches à des acteurs spécialisés, comme l’a précisé la Cour de Cassation dans un arrêt du 3 mars 1978).

 

Concrètement, la personne qui fait construire un immeuble et décide de le revendre après 4 ans d’occupation cédera à l’acquéreur une action (potentielle) sur base de la responsabilité décennale pouvant encore être introduite pendant un délai de 6 ans.

 

De même, une action diligentée sur pied de la responsabilité décennale 11 ans après la réception–agréation des travaux, et malgré des discussions qui auraient été entamées plus tôt, c’est-à-dire dans le délai de 10 ans suivant cette réception-agréation, sera déclarée irrecevable car intentée hors délai.

 

Notons que le fait de diligenter une procédure en référé, par exemple pour obtenir la désignation d’un expert au regard d’un vice apparemment grave affectant le bâtiment, n’est pas de nature à suspendre le délai de 10 ans. Il s’agit en cela d’un délai préfix.

 

 

  1. Les personnes concernées:

 

 

Le titulaire de l’action en responsabilité décennale est le maître d’œuvre. Comme expliqué dans l’exemple repris ci-dessus, il peut transférer en cas de vente son action potentielle, tandis que, si cette action a déjà été introduite lorsque l’immeuble est vendu, le nouvel acquéreur « récupèrera » le bénéfice de cette action introduite par son prédécesseur.

 

 

Les défendeurs à cette action sont les édificateurs, à savoir l’entrepreneur, l’architecte, mais également le bureau d’études ou encore le bureau de contrôle technique.

 

Bref, toutes les personnes qui sont amenées à participer à l’acte de construire et dont les manquements potentiels sont susceptibles d’affecter la stabilité du bâtiment.

 

 

Dans le même sens, les sous-traitants répondent à l’égard de l’entrepreneur principal de cette responsabilité.

 

 

Un cas particulier concerne le promoteur.

 

S’il n’est intervenu qu’en qualité de promoteur–vendeur, il ne répondra pas de la responsabilité décennale en ce qu’il n’a pas participé à l’art de construire.

 

Une exception important doit être soulignée : le promoteur vendeur devra assumer la responsabilité décennale lorsque la vente de l’immeuble est survenue dans le cadre de la loi Breyne (loi du 9 juillet 1971 règlementant la construction et la vente d’habitation sur plans).

 

 

  1. Les conditions d’application de la responsabilité décennale:

 

 

Les conditions d’application résultent des articles 1792 et 2270 du Code Civil.

 

 

  1. a) Un contrat d’entreprise :

 

Une distinction doit être faite en fonction de l’objet du contrat : le vendeur d’un immeuble ne sera pas tenu de la responsabilité décennale (hormis le promoteur vendeur dans le cadre de la loi Breyne – voir ci-dessus) tandis que l’entrepreneur général qui fournira ces travaux devra en répondre.

 

Ce contrat d’entreprise peut être conclu au forfait, en régie, ou encore par bordereau de prix, peu importe.

 

 

Une exception, et il en a déjà été question dans la présente contribution, est contenue dans la loi Breyne qui stipule en son aliéna 2 que « la garantie due par le vendeur en vertu de l’alinéa précédent bénéficie aux propriétaires successifs de la maison ou de l’appartement. L’action ne peut toutefois être exercée que contre le vendeur originaire. Si, dans un immeuble collectif, un des appartements a été vendu avant son achèvement, la responsabilité du vendeur quant aux parties communes des appartements vendus après leur achèvement est également régie par le présent article.»

 

 

  1. b) Un édifice ou un gros ouvrage immobilier :

 

On définit l’édifice comme toute construction matérielle incorporée dans le sol avec des matériaux durables. Il s’agit des maisons mais également des immeubles à appartements, des hangars, des routes et ponts, des écluses, des terrains de tennis, etc…

 

Une extension est admise concernant les éléments qui constituent ce gros œuvre, à savoir la charpente, les murs, les façades, ainsi que certains éléments techniques qui vont de pair avec l’immeuble tel qu’il est construit (installation technique, chauffage central, chaudière, ascenseur, etc…)

 

Sont également associés à la notion de gros ouvrage immobilier les travaux de réparation à condition qu’ils présentent une certaine importance et soient eux-mêmes susceptibles d’affecter la stabilité de l’immeuble.

 

 

Par contre, la responsabilité décennale ne trouve pas à s’appliquer aux biens meubles et, de manière générale, aux travaux de parachèvement, d’entretien ou de décoration (travaux de peinture, de tapisserie, de plafonnage, etc. …).

 

Certaines décisions ont toutefois – et de manière parfois surprenante – admis que soit engagée la responsabilité décennale d’un carreleur alors pourtant que le placement de carrelage n’est au demeurant pas susceptible d’affecter la stabilité du bien immobilier.

 

 

  1. c) Un vice grave :

 

Le vice dont il est question pour engager la responsabilité décennale des édificateurs doit être grave.

 

Peu importe qu’il soit caché ou non : il faut qu’il affecte la stabilité ou la durabilité de l’édifice ou d’une de ses parties maîtresse, comme l’a précisé la Cour de Cassation dans son arrêt du 9 décembre 1988.

 

Précisons qu’il n’y a pas de condition de danger imminent d’effondrement : il suffit que le vice soit, à terme, susceptible d’affecter la stabilité. Cela permet de considérer, notamment, que des problèmes importants d’infiltrations d’eau soient considérés comme engageant la responsabilité décennale de l’entrepreneur. Il en va de même de la corrosion de certaines structures métalliques, lesquelles peuvent, à terme, mettre en péril la stabilité du bien immobilier.

 

Une distinction doit également être soulignée : alors que la jurisprudence a admis, pendant un certain temps, une approche fonctionnelle du vice (par exemple, un défaut important d’insonorisation), encore cette tendance n’est-elle plus d’actualité, même si le vice dénoncé perturbe fortement l’usage de l’immeuble.

 

Revenant plus près du texte de loi, il est à présent et de manière presque unanime considéré qu’il faut la présence d’un risque réel pour la stabilité de l’immeuble, ni plus, ni moins.

 

A défaut, le Maître de l’ouvrage « bascule » sur le régime de la responsabilité pour vice caché véniel.

 

 

  1. d) Une faute :

 

On parle souvent de garantie décennale.

 

Tel n’est pourtant pas le cas.

 

Il incombe de démontrer une faute de l’entrepreneur et/ou de l’architecte.

 

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 5 décembre 2012, a rappelé qu’il n’existait pas de présomption de faute dans le chef des édificateurs.

 

Il y a donc une preuve qui est à rapporter et il faut constater que, bien souvent, le Juge saisi d’une telle réclamation, procède préalablement à la désignation d’un expert judiciaire, lequel sera chargé d’apprécier la gravité du vice dénoncé et, le cas échéant, les responsabilités que cela emporte au niveau de l’architecte, de l’entrepreneur, voire des bureaux d’études qui seraient intervenus.

 

 

  1. Objet de l’action:

 

 

L’action fondée sur la responsabilité décennale des édificateurs vise à la réparation du dommage, c’est-à-dire tout le dommage existant et prévisible en lien causal avec la faute contractuelle qui a été commise (et démontrée).

 

Il est fréquent que les entrepreneurs dont la responsabilité décennale est consacrée proposent de réparer eux-mêmes le dommage qui a été causé ce que le maître d’ouvrage est le plus souvent contraint d’accepter (à moins de démontrer que la confiance entre parties, condition même de l’existence d’un contrat, est devenue totalement inexistante).

 

 

  1. Délais:

 

 

  1. a) Point de départ :

 

En principe, et comme cela a été évoqué ci-dessus, c’est la réception–agréation des travaux qui fait courir le délai de responsabilité décennale.

 

Lorsque deux réceptions sont organisées (réception provisoire et réception définitive), encore est-il souvent prévu dans le cahier spécial des charges que la responsabilité décennale commencera à cour à dater de la réception provisoire des travaux.

 

 

  1. b) Durée :

 

Comme son nom l’indique, la responsabilité décennale coure pour une période de 10 ans.

 

Contrairement au régime de la responsabilité pour les vices cachés véniels, il n’y a pas d’obligation dans le chef du maître de l’ouvrage d’agir dans un « délai utile » à dater de l’agréation.

 

 

 

  1. Les nouvelles obligations des entrepreneurs

 

 

  1. Objectifs de la loi:

 

 

Différents objectifs ont été épinglés dans les travaux préparatoires.

 

Le législateur a en effet voulu assurer une meilleure protection du maître d’ouvrage tout en limitant le coût pour le consommateur.

 

D’un point de vue plus juridique, il s’est également agi de mettre fin à la discrimination épinglée par la Cour Constitutionnelle dans son arrêt du 12 juillet 2007.

 

En synthèse la Cour Constitutionnelle a considéré qu’il y avait une discrimination lorsque, une condamnation in solidum étant prononcée (solidarité entre les différents édificateurs) il y avait, dans le chef de l’architecte, une obligation d’assurance, ce qui n’était pas le cas pour les autres prestataires. Avec pour conséquence un recours systématique du créancier à l’encontre de l’assureur de l’architecte et les difficultés potentielles de recours contributoire de cet assureur à l’encontre des autres édificateurs.

 

 

  1. Obligations d’assurance : pour qui et pour quels travaux?

 

 

Trois notions doivent être envisagées : il faut une habitation située en Belgique, justifiant l’intervention obligatoire d’un architecte pour la délivrance d’un permis d’urbanisme et à propos des travaux de gros œuvre fermé.

 

 

  1. a) Quels entrepreneurs ?

 

Tout entrepreneur dont la responsabilité civile décennale peut être engagée en raison des actes qu’il accomplit sur des habitations situées en Belgique.

 

Il s’agit, logiquement, de toutes les nouvelles constructions, mais également des travaux importants de rénovation ou de restauration d’habitations existantes.

 

 

  1. b) L’habitation :

 

Il s’agit du bâtiment ou de la partie du bâtiment, notamment la maison unifamiliale ou l’appartement qui, dès le début des travaux immobiliers, de par sa nature, est destinée totalement ou principalement (à plus de 50 % de sa surface) à être habité par une famille, éventuellement unipersonnelle, et dans lequel se déroulent les diverses activités du ménage.

 

Il ne s’agit donc pas des chambres situées dans le logement collectif, c’est-à-dire des bâtiments où au moins une pièce d’habitation ou un local sanitaire est utilisé par plusieurs personnes n’ayant pas toute entre elles un lien familial.

 

 

  1. c) Gros œuvre fermé :

 

Il n’y a pas de définition officielle.

 

Les articles 1792 et 2270 du Code Civil visent la solidité, la stabilité et l’étanchéité du gros œuvre fermé de l’habitation lorsque cette dernière met en péril la solidité ou la stabilité.

 

Le gros œuvre est donc constitué, d’une part, des éléments porteurs concourant à la stabilité ou à la solidité des bâtiments (murs, plafonds, planchers, …) et de tous les autres éléments intégrés qui forment corps avec eux (escaliers, cloisons, canalisations et conduites encastrées, …) et, d’autre part, des éléments qui assurent la fermeture, la couverture et l’étanchéité (charpente, toiture, …).

 

Sont dès lors concernés par la responsabilité décennale non seulement l’entrepreneur qui construit sensu stricto l’immeuble mais également le couvreur, le placeur de châssis, le poseur de chape lorsque ceux-ci effectuent des travaux qui tombent dans le concept de gros œuvre fermé.

 

 

Attention : tous les entrepreneurs étant concernés, il en va de même pour les sous-traitants.

 

En cas de doute, il incombera à l’architecte d’effectuer la vérification utile quant à la qualité d’assuré du sous-traitant en question. Il en sera brièvement question dans la troisième partie de la présente contribution.

 

 

  1. Portée de l’assurance:

 

 

  1. a) Les assurés :

 

Est assurée « Toute personne physique ou morale exerçant la profession d’architecte, d’entrepreneur ou d’autres prestataire du secteur de la construction, mentionnée dans le contrat d’assurance, ainsi que ses préposés et sous-traitants.

 

Le personnel, les stagiaires, les apprentis et autres collaborateurs d’une personne physique ou morale exerçant la profession d’architecte, d’entrepreneur ou d’autre prestataire du secteur de la construction sont considérés comme ses préposés lorsqu’ils agissent pour son compte » (Article 4 de la loi du 31 mai 2017).

 

 

Il faut associer à cette définition, lorsque des personnes morales ont contracté, les administrateurs, gérants, membres du comité de direction ainsi que tous les organes de cette personne morale en charge de la gestion de la personne morale quelle que soit la dénomination de leur fonction mais à condition qu’ils agissent pour le compte de cette personne morale.

 

 

Concernant les sous-traitants, dont il a déjà été question, s’est posée la question de savoir si l’application de la loi valait pour les entrepreneurs établis à l’étranger.

 

A partir du moment où l’entrepreneur, fut-il établi à l’étranger, intervient directement ou en tant que sous-traitant sur un chantier situé en Belgique et tombant dans le champ d’application de la loi, il sera soumis à l’obligation de souscrire cette assurance.

 

 

De manière générale, les sous-traitants, qu’ils soient ou non établis en Belgique, sont également soumis à l’obligation de s’assurer ; cela peut se faire par exemple dans le cadre d’une police globale couvrant tous les risques et intervenants pour un chantier déterminé.

 

 

Se pose à cet endroit une question rencontrée fréquemment dans le cadre des litiges relatifs au droit de la construction : si le sous-traitant est coupable d’un manquement engageant sa responsabilité décennale, l’entrepreneur général engage-t-il personnellement sa responsabilité ou est-il responsable du fait du sous-traitant, auquel cas un recours à l’encontre de ce sous-traitant pourrait-être envisagé ?

 

Il conviendra d’être attentif à cette question lorsque les premières polices d’assurance seront proposées sur le marché.

 

 

  1. b) Quelles garanties ?

 

Comme cela a déjà été évoqué dans la première partie de la présente contribution, l’assurance couvre la responsabilité pour les vices affectant la stabilité de l’édifice survenant dans les 10 ans qui suivent la réception-agréation des travaux.

 

Sont expressément exclus par l’article 3 de la loi du 31 mai 2017 certain dommages, que l’on retrouve pour la plupart dans les exclusions autorisées en application de la loi du 4 avril 2014 relative aux entreprises d’assurances.

 

Ne seront dès lors pas couverts les dommages résultant de la radioactivité, résultant de l’exposition à des produits légalement interdits, purement esthétiques, purement immatériel, mais également les dommages apparents connus par l’assuré au moment de la réception provisoire ou résultat résultant directement de vices, défauts ou malfaçons, connus de lui au moment de la dite réception.

 

Enfin, une exclusion financière a été insérée dans la loi : ne seront pas assurés les dommages matériels et immatériels d’un montant inférieur à 2.500 € (montant indexable).

 

 

  1. c) Quel contrat ?

 

Une certaine liberté contractuelle est laissée aux parties.

 

L’article 8 de la loi du 31 mai 2017 précise que : « les assurances visées dans la présente loi et qui couvrent la responsabilité des entrepreneurs, des architectes et des autres prestataires du secteur de la construction peuvent être souscrites soit sous la forme d’une police annuelle, soit sous la forme d’une police par projet.

 

Ces assurances peuvent s’inscrire dans le cadre d’une assurance globale souscrite pour le compte de tous les débiteurs d’obligation d’assurances appelés à intervenir sur un chantier déterminé. Dans cette hypothèse, le preneur d’assurance est toujours assuré, sauf stipulation contraire.

 

En cas de souscription d’une police d’assurance globale par projet, l’ensemble des intervenants couverts par cette assurance globale seront dispensés d’une assurance individuelle pour ce projet ».

 

 

 

 

 

 

  1. Preuve de l’assurance:

 

 

Le chapitre 5 de la loi du 31 mai 2017 traite de la preuve qui est à apporter, tant par l’architecte (article 11) que par l’entrepreneur (article 12).

 

En règle, l’assureur confirme par la remise d’une attestation que les couvertures d’assurance sont conformes à la présente loi et à ses arrêtés d’exécution.

 

 

Le Roi déterminera la forme et les modalités de cette attestation (article 12 paragraphe 4).

 

 

Concrètement, avant l’entame de tout travail immobilier, les entrepreneurs remettront une attestation d’assurance au maître de l’ouvrage, à l’architecte (qui aura l’obligation de la réclamer et de la contrôler, dans la mesure précisément où il est amené à contrôler le chantier), à l’ONSS par l’entrepreneur chargé de l’enregistrement des déclarations de travaux et à première demande à l’agent habilité à surveiller l’application de la loi.

 

Une transmission sera également assurée au maître de l’ouvrage en cas de cession des droits réels avant l’expiration de la période décennale, mais également en cas de financement des travaux au moyen d’un contrat de crédit (le maitre de l’ouvrage remettra les attestations d’assurance à la banque qui prêtera les fonds).

 

 

  1. Divers:

 

 

Précisons encore que :

 

  • la loi ne prévoit ni n’interdit l’intervention d’un bureau de contrôle technique.
  • un bureau de tarification sera constitué de la manière précisée à l’article 10 de la loi.
  • des sanctions pénales sont prévues à l’article 15 en cas de non-respect des dispositions légales et des arrêtés d’exécution qui seront pris en exécution de celle-ci.
  • un cautionnement peut être constitué à condition qu’il réponde aux dispositions de l’article 12 (preuve de la prise en charge par l’entrepreneur lorsque sa responsabilité est engagée) et que l’attestation de cautionnement soit délivrée au même titre que devra être délivrée l’attestation d’assurance.

 

 

 

 

 

  1. Les implications pour les architectes

 

 

  1. Rappel de l’importance du caractère obligatoire d’une assurance:

 

 

  1. a) Protection du maître d’ouvrage profane :

 

Comme cela a été évoqué dans le premier chapitre de la présente contribution, une assurance, en ce qu’elle est obligatoire, garantit au créancier d’avoir face à lui un débiteur solvable.

 

En outre, conformément à la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, l’assurance en ce qu’elle est obligatoire impose à l’assureur d’intervenir au bénéfice de la partie préjudiciée et ne peut se retourner contre son assuré que dans un second temps, dans le cadre d’une action récursoire.

 

La déchéance de l’assuré, dans ce contexte, ne peut intervenir que lorsqu’un comportement précis, décrit dans la police d’assurance, se trouve en relation causale avec le sinistre et est à l’origine de celui-ci.

 

 

Parmi les exemples liés à l’intérêt de cette assurance obligatoire et spécifique à la matière visée, on relèvera une implantation de l’ouvrage sans disposer au préalable d’un plan de bornage ; le fait de ne pas avoir procédé à une étude géologique déterminant la capacité portante avec les risques importants d’affaissement lorsque l’immeuble sera achevé, ou encore le fait de ne pas avoir vérifié l’accès à la profession du ou des entrepreneurs impliqués sur le chantier (circonstance qui conduit à la nullité du contrat d’entreprise).

 

 

Précisons que cette assurance obligatoire a également un intérêt pour son souscripteur : il dispose d’une garantie en cas de problème affectant le travail d’édification qu’il a réalisé (à tout le moins à concurrence des conditions minimales qui seront fixées par le Roi), ce qui sera de nature à protéger efficacement son patrimoine.

 

 

  1. Régime actuel:

 

 

Pour quelques mois encore, le régime de l’assurance obligatoire dans le chef des architectes est régi par l’article 2 de l’arrêté royal du 25 avril 2007 précisant que « la responsabilité civile résultant de l’activité d’architecte pour autant qu’elle ait trait aux travaux exécutés et prestations délivrées en Belgique » est couverte par l’assurance obligatoire que doit souscrire l’architecte.

 

Il s’agit, dans le chef de l’architecte, d’une assurance qui couvre non seulement sa responsabilité contractuelle (responsabilité décennale mais aussi responsabilité pour vice caché véniel) ainsi que sa responsabilité extra contractuelle pour tout dommage qu’il pourrait occasionner à un tiers dans le cadre de l’exercice de sa profession.

 

Des montants minima de garantie ont été fixés (1.500.000 € pour les dommages corporels, 500.000 € pour les dommages matériels et immatériels).

 

 

 

  1. Nouveau régime:

 

 

  1. a) Champ d’application de l’assurance obligatoire :

 

Le champ d’application de la loi est le même que pour les entrepreneurs : il s’agit de couvrir les vices graves affectant le gros œuvre fermé pour les bâtiments destinés au logement et situés en Belgique.

 

On relèvera immédiatement que le nouveau régime limite l’étendue de la couverture légalement obligatoire des architectes en ce que la police d’assurance qui devra être souscrite ne couvrira pas comme c’était le cas antérieurement pour les architectes les vices cachés véniels.

 

 

  1. b) Que deviennent les obligations prévues antérieurement à charge des architectes ?

 

Il faut constater que le législateur ne semble point avoir prévu de solution déterminée.

 

Il faudra en effet, pour la plupart des architectes combiner les assurances obligatoires dont ils disposent dès à présent avec les assurances qu’ils devront souscrire, seuls ou en commun avec les autres édificateurs à dater de l’entrée en vigueur de la loi.

 

 

Avec un risque important de manque de clarté et d’insécurité juridique.

 

Au titre d’exemple, l’article 3 de la loi stipule qu’est visée « l’assurance qui couvre la responsabilité civile visée aux articles 1792 et 2270 du Code Civil pour une période de 10 ans à partir de l’agréation des travaux ».

 

Il y a, en cela, une coïncidence entre la durée de la garantie dans le temps et la durée de la prescription de l’action de la victime.

 

C’est un effet heureux de la nouvelle loi en ce que, dans l’ancien régime (qui perdurera jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi), l’article 6 de l’arrêté royal du 25 avril 2007 prévoyait qu’il n’y avait pas de protection pour celui dont la responsabilité était mise en cause après l’extinction du contrat d’assurance lorsque le dommage ne s’était pas produit pendant la durée du contrat d’assurance.

 

Il y avait, en cela, prépondérance de la relation assureur – assuré au détriment de la relation assuré – victime.

 

 

  1. Contrôle du respect de l’obligation d’assurance:

 

 

  1. En ce qui concerne l’architecte :

 

L’article 7 de l’arrêté royal du 25 avril 2007 est repris dans l’article 11 de la nouvelle loi du 31 mai 2017.

 

Il y a une obligation d’information à charge des entreprises d’assurances au bénéfice du Conseil de l’Ordre.

 

Ce prescrit légal est repris dans la plupart des conventions d’architecture.

 

Cette obligation d’information à charge de l’assureur lui impose de transmettre chaque année la liste des architectes assurés au Conseil de l’Ordre, l’avertissement du Conseil de l’Ordre de l’intention de cet assureur de résilier le contrat d’assurance de tel architecte ou encore de transmettre trimestriellement la liste des contrats résiliés ou suspendus ou dont la couverture est suspendue.

 

Précisons que la convention d’architecture reprend expressément les coordonnées de l’entreprise d’assurance ainsi que le numéro de la police d’assurance, outre les coordonnées du Conseil de l’Ordre qui peut être consulté.

 

 

  1. En ce qui concerne l’entrepreneur :

 

Comme évoqué ci-dessus, il y a une nouvelle obligation de vérification dans le chef de l’architecte.

 

L’article 12 § 1 de la loi du 31 mai 2017 : « Avant l’entame de tout travail immobilier, les entrepreneurs et les autres prestataires du secteur de la construction remettent une attestation d’assurance :

 

  1. au maître de l’ouvrage et
  2. à l’architecte.

 

Il réclame cette attestation le cas échéant. »

 

Il existe dès lors, dans le chef de l’architecte, une obligation de réclamer cette attestation si elle ne lui est pas délivrée spontanément.

 

Avec les conséquences au demeurant complexes, que cette situation aura lorsque, par exemple, des polices souscrites auprès d’assureurs différents se croiseront dans le cadre d’un même projet.

 

 

 

 

Conclusion 

 

 

Si la nouvelle loi répond au problème de la différence de traitement entre les architectes et les entrepreneurs, en organisant un régime favorable à la protection des maîtres d’ouvrage, mais également des prestataires (en garantissant leur patrimoine), encore faut-il relever des incohérences dans le chef du législateur notamment en ce qui concerne le régime applicable aux architectes (qu’en sera-t-il de l’arrêté royal de 2007 qui régit, à ce jour, les obligations ?).

 

De manière plus générale, qu’en sera-t-il de la tarification dans le chef des assureurs à l’égard de certaines entreprises, notamment lorsqu’il apparaitra des données accessibles au public (comptes annuels) que la situation financière est délicate ?

 

Enfin, l’assureur qui devra fixer le montant de la prime méditera la donnée statistique révélant que, il y a de cela seulement quelques années, la durée moyenne de vie d’une entreprise de construction de petite taille était de l’ordre de 7 ans…

 

Me Paul SCHILLINGS