Architecte et devoir de contrôle

La mission de contrôle de l’architecte consiste à vérifier que les travaux sont réalisés conformément aux plans qu’il a conçu et aux directives qu’il a fournies.

1.    Directives

L’entrepreneur n’est pas le subordonné de l’architecte, celui-ci n’a pas de pouvoir de direction. L’architecte donne simplement des directives pour une exécution conforme des travaux : cela implique des instructions claires, précises et complètes.

2.    Contrôle

Il doit s’agir d’un contrôle normal : il incombe à l’architecte d’effectuer des visites régulières : « Le contrôle d’exécution n’est en aucun cas une surveillance permanente du chantier, mais un contrôle régulier, qui a bien eu lieu. Si la régularité du contrôle n’exclut pas une erreur ponctuelle (à démontrer le cas échéant), la preuve de la régularité du contrôle ôte toute crédibilité à la thèse de l’absence de suivi défendue par la demanderesse »[1] ;

et également d’inspecter les travaux lors des étapes importantes et délicates de la construction :

  • « Le devoir de l’architecte d’exercer une surveillance implique qu’il vérifie que les travaux soient effectués conformément aux plans et qu’il donne des directives précises à l’entrepreneur chaque fois qu’un aspect délicat du travail exige sa présence. La surveillance ne signifie pas qu’il exerce un contrôle permanent sur le chantier sauf disposition contraire »[2] ;
  • « Dans le cadre de cette mission, l’architecte doit notamment veiller à l’exécution des travaux conformes aux plans qu’il a établis, donner aux exécutants des directives et intervenir chaque fois qu’une tâche délicate requiert normalement sa présence »[3] ;

Le devoir de contrôle implique également l’obligation d’indiquer en temps utiles à l’entrepreneur négligent les corrections à effectuer par rapport à des vices constatés et celle d’en informer le maître de l’ouvrage :

  • « La présence dans le dossier de plusieurs rapports de chantier, en l’espèce des rapports hebdomadaires, la mention dans l’un d’eux du vice technique invoqué dans la procédure judiciaire en cours ainsi que du remède que l’architecte préconise, font apparaître que ce dernier s’est effectivement bien acquitté de ses obligations en tant qu’architecte et qu’il s’agit ici d’une pure faute d’exécution de l’ (des) entrepreneur(s) »[7] ;
  • « L’architecte doit dès lors être présent sur le chantier de manière périodique pour découvrir les manquements et malfaçons et y faire remédier en temps utile, afin de sauvegarder la bonne exécution finale dans les délais prévus et réagir de manière préventive au cas où il constaterait un défaut d’organisation ou de mise en œuvre par l’entrepreneur, ou un vice dans les matériaux »[8] ;

Le devoir de contrôle est une obligation de moyen :

  • « La mission de contrôle de l’architecte n’implique aucun contrôle permanent du chantier de construction et est une obligation de moyen et non pas de résultat »[10] ;
  • « À supposer même que certaines erreurs d’exécution relevées par l’expert judiciaire n’aient pas été dénoncées par l’architecte, il faut rappeler que ce dernier n’est pas tenu à une obligation de résultat» [11];

Dans ce cadre, l’architecte doit pouvoir faire confiance à l’entrepreneur :

  • « L’architecte n’est pas astreint à une surveillance quotidienne du chantier et doit pouvoir en principe compter sur un travail soigneux dans le chef des entrepreneurs »[14]
  • « Le contrôle de l’architecte ne va pas jusqu’à devoir supposer la mauvaise foi dans le chef de l’entrepreneur et n’implique pas non plus une surveillance exhaustive de tous les éléments de l’exécution »[15] ;

Par conséquent, l’intensité du devoir de contrôle dépend du type de travaux à réaliser :

  • « L’architecte ne peut être tenu pour responsable des vices dans l’exécution qui relèvent de la connaissance normale et habituelle de l’entrepreneur »[17] ;
  • « Le devoir de surveillance est seulement éventuel, ne trouvant à s’appliquer qu’à l’égard – et partant seulement dans l’hypothèse – de travaux très importants, essentiels ou spécifiques d’une certaine difficulté. Le but étant de vérifier si les directives données par l’architecte pour les travaux présentant ces caractéristiques sont correctement suivies au moment même, le devoir de surveillance s’exerce pendant leur exécution même et implique dès lors le temps de cette exécution, une présence fréquente, quasi permanente de l’architecte.

Portant, par contre, sur les travaux déjà matériellement exécutés et ayant pour objet de vérifier la conformité aux plans, cahiers de charges et documents descriptifs, des travaux une fois réalisés, le devoir de contrôle est général. Ce contrôle doit, partant, s’exercer à des intervalles réguliers »[18] ;

  • « Si l’architecte ne doit pas être présent de façon constante sur le chantier, il lui incombe de contrôler les phases d’exécution qui ne pourront plus faire l’objet de corrections par la suite. Tel est le cas de la pose d’une membrane d’étanchéité, qui ne relève pas d’une technique à ce point courante que l’architecte peut se croire dispensé de tout contrôle en cours d’exécution »[19] ;
  • « On n’attend pas d’un architecte qui est chargé d’une mission légale de contrôle qu’il soit présent en permanence sur le chantier. Pour un travail qui ne demande pas d’autre maîtrise qu’une connaissance spécialisée élémentaire dont un entrepreneur en terrassement est censé disposer, l’intervention d’un architecte chargé du contrôle de l’exécution des travaux n’est pas requise »[20] ;

L’intervention d’un spécialiste peut éventuellement avoir pour effet de diminuer le devoir de contrôle de l’architecte : « En vertu de l’intervention de l’ingénieur en stabilité, l’architecte n’est plus tenu contractuellement de contrôler les ouvrages qui relèvent de la responsabilité de ce dernier, à tout le moins au-delà de sa mission générale de contrôle des travaux.

Cette décharge partielle de responsabilité est admise depuis l’arrêt du 3 mars 1978 de la Cour de cassation par lequel il a été mis fin à la tendance jurisprudentielle antérieure qui faisait de l’architecte le seul responsable des fautes commises par les spécialistes auquel il avait fait appel.

L’architecte demeure néanmoins tenu d’assumer sa responsabilité personnelle dans le cadre de son devoir général de contrôle, en ce compris sur les parties d’ouvrage conçus et étudiés par d’autres, tels les ingénieurs en stabilité, mission dont l’ampleur dépendra essentiellement des compétences professionnelles propres dont l’architecte dispose dans la technique en question »[25].

Il convient de souligner que le seul fait qu’il y ait une faute d’exécution n’entraine pas la responsabilité de l’architecte pour défaut de contrôle des travaux : « La seule existence de vices imputables à l’entrepreneur d’exécution du travail ne prouve pas que l’architecte a commis une faute dans le contrôle de ce travail »[26].

En outre, pour que la responsabilité de l’architecte soit engagée, le maître de l’ouvrage doit démontrer l’existence d’un lien causal entre le défaut de contrôle et le dommage revendiqué :

  • « La responsabilité de l’architecte pour manquement à son devoir de contrôle des travaux ne peut être retenue que si les malfaçons constatées n’ont pu se produire qu’à la suite de l’insuffisance de la surveillance qu’il a exercée sur le travail de l’entrepreneur »[27] ;
  • « Le constat d’un manque de contrôle ne dispense cependant pas le maître de l’ouvrage de l’obligation d’établir un lien de causalité entre la faute de l’architecte et le dommage subi. À défaut de démonstration de ce lien de causalité, aucune indemnisation ne peut être accordée »[28] ;

Manon VIGNEAUX, ancienne collaboratrice

Julien VERMEIREN, ancien associé


[1] Civ. Nivelles 8 avril 2011, Res Jur. Imm. 2011, liv. 3, 239.

[2] Bruxelles 11 octobre 1991, J.L.M.B. 1992, 367, note DELVAUX, A.

[3] Bruxelles (2e ch.) 18 octobre 2002, Res Jur. Imm. 2003, liv. 3, 195.

[4] Anvers n° 2001/AR/290, 14 octobre 2003, NjW 2003, liv. 50, 1266, note GOOSSENS, W.

[5] Bruxelles (2e ch.) 12 octobre 2001, A.J.T. 2001-02, 740, note BALLON, G.

[6] Bruxelles 22 septembre 1994, J.L.M.B. 1996, 1476, note HENROTTE, J.

[7] Gand (16e ch.) 28 octobre 2011, Entr. et dr. 2014, liv. 2, 188.

[8] Bruxelles (2e ch.) 18 octobre 2002, Res Jur. Imm. 2003, liv. 3, 195.

[9] Bruxelles (2e ch.) 30 septembre 1999, Entr. et dr. 2000, 146.

[10] Bruxelles (1e ch.) 17 mars 2009 (B.V.B.A. Architektenbureau B.L. / G.B.),TBO 2009, liv. 4, 185.

[11] Civ. Namur (div. Namur) (5e ch.) 24 avril 2014, J.L.M.B. 2016, liv. 34, 1631.

[12] Bruxelles (20e ch.) n° 2011/AR/3015, 17 novembre 2014, RABG 2019, liv. 11, 914, note LIBRECHT, K.

[13] Civ. Anvers (12e B ch.) 3 juin 2004, R.W. 2007-08, liv. 34, 1416.

[14] Liège 30 avril 1993, Entr. et dr. 1997 (abrégé), 61.

[15] Civ. Termonde (5e ch.) 21 juin 2001, Entr. et dr. 2002, liv. 2, 159.

[16] Civ. Namur (div. Namur) (5e ch.) 24 avril 2014, J.L.M.B. 2016, liv. 34, 1631.

[17] Bruxelles 11 octobre 1991, J.L.M.B. 1992, 367, note DELVAUX, A.

[18] Gand (16e ch.) 28 octobre 2011, Entr. et dr. 2014, liv. 2, 188.

[19] Mons (12e ch.) 3 juin 2002, R.G.A.R. 2003, liv. 8, n° 13.765.

[20] Anvers (7e bis ch.) n° 2003/AR/1349, 21 mai 2007, Limb. Rechtsl. 2007, liv. 4, 309, note VANHELMONT, P.

[21] Bruxelles (2e ch.) 18 octobre 2002, Res Jur. Imm. 2003, liv. 3, 195.

[22] Civ. Namur (div. Namur) (5e ch.) 24 avril 2014, J.L.M.B. 2016, liv. 34, 1631.

[23] Bruxelles (2e ch.) n° 2005/AR/1566, 2005/AR/1852, 28 février 2008, Jurim Pratique 2008, liv. 2, 83, note LOUVEAUX, B.

[24] Bruxelles 22 septembre 1994, J.L.M.B. 1996, 1476, note HENROTTE, J..

[25] Civ. Nivelles 8 avril 2011, Res Jur. Imm. 2011, liv. 3, 239.

[26] Bruxelles (1e ch.) 17 mars 2009 (B.V.B.A. Architektenbureau B.L. / G.B.),TBO 2009, liv. 4, 185.

[27] Civ. Charleroi 30 mars 1995, J.L.M.B. 1996, 793, note LOUVEAUX, B.

[28] Comm. Gand (div. Ostende) (6e ch.) 8 janvier 2016, T.G.R. – T.W.V.R. 2017, liv. 1, 9.

[29] Civ. Bruxelles 17 septembre 1996, J.L.M.B. 1998, 186.

[30] Mons (2e ch.), 10 juin 2014, J.L.M.B. 15/676.

[31] Liège (20e ch.), 27 avril 2007, J.L.M.B. 07/319, p. 5.